Portrait du compagnon de cordée de Jean Christophe Lafaille, décédé lors de la première de ce dernier en Himalaya, voilà un homme pour lequel les termes "taiseux" ou "renfrognés" semblent avoir été inventés! Moi qui aurait rêvé de discuter avec Edlinger ou Lafaille, je pense que je n'aurais même pas voulu rencontrer Pierre Beghin! La froideur et l’égoïsme dont fait preuve cet homme tout au long de sa vie aura refroidi bon nombre d'équipiers! Là où un Berhault vous recevait et vous parlait tout en sachant vous écouter (dixit Asselin), ou un Escoffier arrivait par sa bonne humeur à tout faire passer, Beghin fait partie de cette génération "d'entre deux", celle qui est née trop tard pour avoir connu les Rebuffat et autres Cassin et les premières dans les Alpes et trop tôt pour les super grimpeurs médiatisés à l'extrême comme Profit ou Batard, concevant des trilogies impossibles. Encore emprunt de cet alpinisme "à l'ancienne", biberonné aux récits de Lachenal et Terray, ses glorieux prédécesseurs, Beghin est élevé dans une famille gaulliste où l'on se vouvoie entre mari et femme et dans laquelle le grand père, professeur émérite à polytechnique pèse de tout son poids. Les études obligatoires accomplies, Beghin donnera ensuite libre court à son envie insatiable de sommets. Cependant, contrairement aux surhommes des années 80, s'il va accomplir quelques grandes courses et de belles réussites (dont une incroyable voie au K2 avec...Christophe Profit), il comptera également beaucoup d'échecs, incapable contrairement à Messner ou Loretan de grimper de nuit, le sommeil le rattrapant à chaque fois. Mais ne nous y trompons pas, si l'on faisait une comparaison osé avec, disons, le tennis, Messner, Kukuczka, Loretan, Lafaille, serait le haut du panier, les Federer, Djokovic, Nadal... Beghin se rapprochant plus d'un Nishikori, un très bon quoi, mais il lui manquait la technicité d'un Profit. Par contre, niveau volonté, c'est un roc, à la limite de l'autisme! Au point d'user un nombre conséquent de coéquipiers de cordées: Roche, Fargeas, Fauquet et même Annie, sa femme! Un monstre d’égotisme et d'égoisme! Un besogneux, loin des athlètes tels Berhault ou Profit. Profit qui sera le seul à ne pas craquer, le laissant seul choisir un autre coéquipier, devant de son côté régler ses problèmes de couple. Le prochain sera Lafaille avec le destin que l'on connait. Oui, on pourrait aimer détester cet homme...jusqu'à un extrait du passage de son livre Passion Himalaya, où très jeune, il voit le soleil se coucher derrière des sommets et où il décide de grimper "à l'arrache" la première crête afin de voir le soleil fondre forcément dans un lac. Mais toujours des ressauts devant lui, le privant de cette boule lumineuse se couchant. Écrasé de fatigue, il descendra clopin clopant devant les yeux ébahis de ses parents. Tout Beghin adulte est déjà présent: opiniâtre, limité techniquement (mais quand même capable de grimper du VI, ne nous y trompons pas!), rêveur. Un homme d'un autre temps, capable d'exploits incroyables au vu du matériel de l'époque, le récapitulatif de ses courses en fin d'ouvrage donnant le vertige!