Julien Dussart souhaite assassiner une personne et pour cela, il va utiliser la théorie des six, qui prétend que chaque être humain est relié par n’importe quel autre via cinq personnes intermédiaires. Une fois sélectionné sa cible N°1, il va partir à l’autre bout de la France, assassiner au hasard une personne qui va être sa cible N°6 et tente de remonter la chaîne de personnes jusqu’à sa cible.
L’idée de départ est excellente mais le traitement est véritablement maladroit. Et comme Jacques Expert, je vais tenter de vous l’expliquer en 6 points.
N°1, un tueur cliché.
Le tueur, Julien Dussart, parle à la première personne. Jusque là, pas de soucis. Là où cela devient compliqué, c’est quand vous découvrez au chapitre suivant l’adversaire du tueur, Sophie Pont, Commandant de Police, qui elle aussi, s’exprime à la première personne. En plus de ça, vous rajoutez le fait que les changements de chapitres ne correspondent pas forcément à un changement systématique de narrateur et ça vous donne une idée du chantier : à de nombreuses reprises, vous vous retrouvez à entamer un début de chapitre sans savoir où l’on se trouve ni qui parle … Pourquoi utiliser deux narrateurs à la première personne au risque d’empêcher systématiquement le lecteur de s’identifier à l’un deux ? La réponse est simple, il suffit de voir le point 2.
N°2, une héroïne qui ne l’est pas.
Le tueur est une véritable tête à claque. Vous allez dire, c’est normal, c’est un psychopathe, donc autant charger la mule. Et l’auteur se retrousse les manches pour y parvenir : Dussart est égoïste, mythomane, narcissique, arrogant, raciste, prétentieux, nihiliste, homophobe, xénophobe, insupportable, mièvre, malade, agaçant, etc. Impressionnant, je sais, mais j’ai dû en oublier en route … En toute logique, c’est Sophie Pont qui devrait équilibrer les forces, mais l’auteur prend son lecteur à rebrousse poile en proposant une autre alternative : il va rendre le personnage de l’enquêteur tout aussi insupportable que son tueur. Pont est une peste, un bourreau, un tyran, tout aussi égoïste, narcissique, arrogante, prétentieuse, agaçante que son adversaire.
Cela aurait pu être une alternative intéressante si l’on n’avait pas déjà le problème numéro du JE, qui brouille les cartes. À ce stade, les cartes ne sont plus brouillées, elles sont carrément cryptées … On en arrive au troisième point.
N°3, le lecteur ne peut pas s’identifier.
Si les deux personnages principaux du casting sont détestables à ce point, il va falloir en trouver un troisième qui permettra au lecteur de s’identifier : dans ce cas, il va s’agir de la pauvre secrétaire de Sophie Pont, qui passe ses journées à être humiliée par sa supérieur. Elle va très vite montrer de biens meilleurs dispositions que sa chef pour découvrir et tenter d’assembler les différentes pièces du puzzle. L’ennui, c’est qu’une secrétaire qui joue les Sherlock Holmes en suggérant des idées à sa patronne, ce n’est pas crédible. On se demande ce qu’elle fait là si elle a autant de prédisposition à faire un travail d’enquêteur au lieu de subir le harcèlement moral dont elle est l’objet avec Sophie Pont. Du coup, elle en devient crétine et perd au fur et à mesure de l’histoire la consistance qui aurait pu faire d’elle la clef du roman. À mon humble avis, une des erreurs majeurs de ce roman. Si le lecteur ne peut s’attacher à un personnage, alors il va se tourner vers la théorie en elle-même, personnage central de cette histoire.
N°4, une théorie mal appliquée.
L’idée d’utiliser cette théorie et de l’appliquer à la trame d’un thriller est bonne, autant faut-il comprendre les tenants et aboutissants de cette théorie. C’est là que le bas blesse puisque le passage de la victime 3 à la 1 n’est qu’une succession d’incohérence. Je ne peux pas trop en dire pour ne pas déflorer l’intrigue mais le tueur éprouve des difficultés à sélectionner sa troisième cible alors qu’elle a des liens « inoubliables » avec la 2 et la 1. Psssshiiiiiiiiiiiit, c’est le bruit de l’intrigue qui se dégonfle. Parce que à partir de ce moment, le seul intérêt de l’histoire est de découvrir l’identité de la cible N°1. Mais quand on prend conscience que l’auteur ne maîtrise pas sa création assassine, on commence à se douter que le final va être granguignolesque… Si le but est de nous surprendre, c’est réussit mais à quel prix ? Au point de se tirer une balle dans le pied et de sacrifier la crédibilité du raisonnement qui gère cette théorie… Alors, que reste-t-il ?
N°5, le but, le propos ?
Que nous reste-t-il d’agréable à dire sur le livre, si ce n’est que c’est écrit gros et qu’il se lit très vite ? Un casting antipathique, une trame narrative qui montre très vite ses limites, la question reste : quel est le but de l’auteur ? Proposer autre chose, une alternative, en jouant avec les codes du genre et créant la surprise ? Mais avant de jouer avec les codes, il serait bon de les maîtriser. J’invite les gens qui ont déjà lu le livre à aller voir l’interview de l’auteur sur le site de son éditeur : Jacques Expert parle très bien de son livre, il le vend très bien mais au final, j’ai vraiment eu l’impression que l’on ne parlait pas de la même chose, tant le gouffre est énorme entre le pitch et la réalité de l’histoire.
N°6, l’originalité à quel prix ?
J’ai vraiment l’impression que nous avons affaire à un bon pitcher (un pitch, c’est l’argumentaire d’un roman, son principe, son point de départ). Mais là où l’on découvre de grosses lacunes, c’est dans le développement. C’est louable de vouloir sortir du lot en proposant des choses différentes, des styles originaux avec des traitements visant à secouer les habitudes du lecteur mais le champ d’opération est très vite restreint quand on découvre que derrière cette manœuvre, l’efficacité et la maîtrise d’un simple conteur n’est pas au rendez-vous. Quand je pense que de jeunes auteurs ne parviennent pas à trouver un éditeur malgré d’excellents manuscrits, je me demande ce qu’il va leur falloir produire pour arriver à attirer l’attention, quand on voit que la chose semble devenir plus aisée pour un directeur des programmes de Paris Première ou un chef monteur, réalisateur de court métrage.
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