Suite et fin du prologue.
En espérant que vous aurez plaisir à lire.
À bientôt !
JLB
N’y tenant plus, l’aliéniste glissa une main dans sa poche. Il en extirpa le frottoir, qu’il posa avec précaution sur ses genoux repliés. Lentement, il prit ensuite une nouvelle allumette. Il fit jouer l’extrémité arrondie entre ses doigts, puis se décida à la sacrifier sans plus tarder.
Il fallait, une poignée de secondes au moins, repousser les ténèbres. Si la première tentative fut vouée à l’échec, la seconde lui apporta satisfaction. Avec un sifflement colérique, la boulette chimique prit feu et sa flamme éclaboussa de jaune le décor.
Bloomberg leva la main avec précaution, pouce et index resserrés en tenaille sur l’extrémité de bois. Dans le halo tremblant, il distingua la figure blême de l’homme prostré face à lui. Le visage du moribond avait adopté l’apparence de ce carton bouilli, dont on fabriquait certains masques de carnaval en Italie.
Bloomberg s’appliqua à ne rien laisser paraître de sa tristesse face à l’effroyable spectacle.
« Il sait, songea l’aliéniste quand son compagnon lui adressa un sourire mêlé de tristesse et de fatalité. Il a accepté son sort. »
L’homme fournit un effort pour se redresser. Bloomberg admira en silence sa force de caractère. La douleur devait être extrême, mais le condamné ne supportait pas le spectacle dégradant de sa déchéance. Il mourrait droit, en affrontant bravement sa destinée…
Soudain, de l’eau tomba de la voûte. La pluie fine sonna autour des deux hommes comme sous la nef d’une église.
Une odeur douceâtre leur monta aux narines. L’air se chargeait des parfums humides de la putréfaction et des fragrances plus âcres de transpiration.
Bloomberg plongea les yeux dans ceux de son compagnon.
— C’est bientôt fini pour moi, souffla ce dernier sans une once de crainte.
Une fois encore, Bloomberg loua la bravoure du condamné.
« Tu t’es trompé, se dit-il avec amertume. Tu t’es persuadé, à tort. Tu l’auras jugé sur la foi de témoignages… »
L’homme sembla lire dans ses pensées comme à livre ouvert. Il libéra un rire métallique :
— Vous n’avez pas à vous en vouloir, Docteur Bloomberg. Même les aliénistes ont droit à l’erreur. Vous et moi, nous serons tombés sur plus forte partie. Je ne serai plus de ce monde, dans moins d’une heure, mais vous pouvez encore…
— Ne perdez pas espoir ! l’interrompit Bloomberg. Nous allons nous en sortir. Les secours seront bientôt là.
L’homme laissa fuser un ricanement douloureux :
— Pas cette fois, docteur. Vous le savez aussi bien que moi. Nous avons perdu tous les deux.
Il leva un doigt tremblant et pointa l’allumette dont la petite flamme ondulait dans les ténèbres, comme la voile d’un navire perdu au cœur de la tempête :
— Vous devriez songer à votre réserve. Je n’ai plus besoin de lumière. Je sais que vous m’accompagnerez dans mes derniers instants. Songez à vous, Docteur. Quand je serai passé de l’autre côté, il faudra vous lever et tenter de sortir. Personne ne souhaite trépasser seul dans le noir.
Bloomberg le dévisagea en silence.
Il refusa un instant l’idée, mais dut se rendre à l’évidence : son interlocuteur parlait vrai, il fallait le reconnaître.
— Nous aurions pu être amis, vous et moi… poursuivit ce dernier comme à regret.
— Nous l’avons été, corrigea l’aliéniste. Je peux vous l’assurer.
L’autre opina du chef.
— Docteur Bloomberg ?
— Oui ?
— J’ai une dernière faveur à vous demander.
— Je vous écoute.
— Restez ici encore un peu, mais de grâce… Ne me regardez pas mourir.
La gorge serrée, Simon Bloomberg leva les yeux vers la brindille tordue qui se recroquevillait à l’extrémité de ses doigts.
Les premiers souvenirs distincts affluèrent, tandis que la flamme léchait sa peau.
L’aliéniste serra les dents. Toute cette histoire n’avait été qu’un monstrueux piège, une machination qui les avait conduits au fond des catacombes…
Respectueux de la dernière volonté de son compagnon, Bloomberg souffla la flamme.
_________________ C'est curieux, chez les marins, ce besoin de faire des phrases...
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