Anna Galore - L'étrange interview

Exclusif

Sud de la France - De notre envoyée spéciale.

Après de longues tractations, notre envoyée spéciale Raven a enfin obtenu une interview d'Anna Galore. C'est avec une certaine appréhension qu'elle s'est rendue à son domicile il y a une quinzaine de jours, par une nuit sans lune. Anna Galore habite au coeur d'une forêt épaisse une maison en pierres du 17e siècle, accessible par un simple chemin de terre. Lorsque Raven a tapé à la porte en actionnant le heurtoir représentant un diable grimaçant, l'orage qui menaçait depuis des heures a soudain éclaté. Des trombes d'eau se sont mises à tomber pendant que des éclairs violents déchiraient la nuit. Au bout d'une minute, la porte s'est ouverte lentement toute seule en grinçant et Raven a entraperçu l'auteure mystérieuse, langoureusement allongée sur un canapé à peine éclairé par quelques bougies vacillantes. Le cyber-mythe existait donc vraiment.

Anna Galore était vêtue (ben oui, quoi, faut pas exagérer non plus, c'est un forum public ici) d'une simple robe de soie noire à la légèreté arachnéenne qui ne laissait que peu de place à l'imagination pour deviner ses courbes sensuelles et hypnotiques. Elle tenait à la main un verre en Baccarat à demi empli de rhum pur. Raven, ses vêtements détrempés plaqués au corps à cause de la pluie, a dégluti sans trop savoir quoi faire. C'est Anna qui a pris la parole, d'une voix envoûtante et chaude:
- Entrez, je vous en prie, mettez-vous à l'aise. Je vous sers quelques chose?
- Mm-m-m-m-mer-ci, j-j-j-je v-v-eux b-bien.

Anna lui a alors indiqué du regard l'ample fauteuil faisant face au canapé. Sur une tablette qui le jouxtait se trouvait déjà un verre plein d'une liqueur ambrée.

L'interview pouvait commencer.

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- Mais que suis-je venue faire ici ?
Non ce n’était pas une des nombreuses questions que Raven avait préparées pour l’interview, mais la pensée qui ne la quittait pas depuis son arrivée.
Il y avait déjà eu le chemin, on a beau être à l’ère informatique, même « Mappy » n’avait pu être précis sur l’emplacement exact de l’endroit, il avait fallu que cet orage éclate, et se trouver là au milieu de cette pièce, dégoulinante, n’était pas pour lui redonner confiance en elle.

- Je voudrais avant tout vous remercier pour votre accueil …hum chaleureux...
En disant cela, Raven ne put empêcher ses yeux de faire le tour de la pièce, l’ambiance mystique qui régnait dans cette vieille demeure était particulière, mais cadrait assez bien avec le personnage qu’on pouvait ce faire de l’auteure après la lecture de son livre.

Notre apprentie journaliste enfin installée, l’interview pouvait commencer … Mais avant, elle avait besoin d’un petit remontant. Elle approcha délicatement le verre de ses lèvres, l’odeur lui donna déjà un bon coup de fouet. Elle qui ne buvait jamais, c’était l’occasion ou jamais.
Bien assise, un peu ragaillardie, Raven plongea sa main dans sa sacoche pour prendre ses questions, elle y trouva son portefeuille, une brosse à cheveux, ses clés et tout le bordel que peut avoir une femme dans son sac, mais des questions il n’y en avait pas trace. Heureusement, le dictaphone lui était là.

Face à elle, une Anna détendue qui semblait se rendre compte de la situation et s’en amuser.

Décidément, tout allait de travers depuis ce matin. Raven décida de ce lancer

- Il y a, sur le site de Plume Libre, une question qui est devenue un rituel. Nos lecteurs ne vous connaissent pas encore bien, il faut dire que vous maniez l’art de l’anonymat avec brio, mais qui est Anna Galore ?

- Anna Galore est mon personnage de fiction le plus réussi, soit dit sans forfanterie. Déjà, c'est le seul que je connaisse qui côtoie depuis des mois des êtres réels, ce qui est plutôt rare pour un personnage de fiction. Mais de plus, pour bon nombre d'entre eux, Anna existe vraiment et dispose d'une personnalité totalement identifiée. Vous trouverez des forumeurs, qui la suivent depuis le début, capables de vous raconter des anecdotes de sa vie, de vous expliquer sa vision humaniste du monde et des relations humaines, de vous décrire sa philosophie fortement teintée de bouddhisme tibétain, de vous confirmer l'étendue de sa culture en histoire des sciences occultes et sa parenté avec une authentique sorcière, de vous chanter ses chansons préférées et de vous murmurer son goût pour les jeux sensuels entre filles voire plus si affinité. Pourtant, Anna est, soyons claires, le simple fruit de mon imagination. Certes, je partage avec elle bon nombre de ses traits de caractères et de ses goûts (je ne suis pas assez forte, comme écrivaine, pour avoir absolument TOUT inventé) mais cependant, la personne que je suis vraiment n'est pas Anna. D'ailleurs, dans la vraie vie, la plupart des personnes qui me côtoient ignorent tout de ma double personnalité et ne savent même pas que j'écris des livres. Il me tarde de tomber un jour sur quelqu'un qui me connaisse de façon "officielle" et qui me dise "Oh, tu ne sais pas? J'ai fait la connaissance sur un forum d'une auteure nommée Anna Galore! J'ai lu son livre, j'ai adoré et ensuite j'ai pas mal échangé avec elle, elle est vraiment sympa. Tu en as entendu parler?". Oui, j'adorerais vivre cet instant-là. Dîtes, vos vêtements sont trempés, si vous les enleviez pour les mettre à sécher près de la cheminée? Je peux vous prêter un peignoir en attendant. A moins que l'alcool ne suffise à vous réchauffer?

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Pendant ce temps dans un hotel F****** 1 à quelques kilomètres de là...

Claire avait accompagné Raven dans le Sud pour ce périple journalistique. Vivant dans cette belle région (habituellement ensoleillée, précisons-le), il avait paru évident que les deux chroniqueuses de Plume Libre se livreraient ensemble à l'exercice délicat d'interviewer le "fantôme" Anna Galore. Cependant, un texto envoyé par Anna avait précisé: "Juste Raven pour l'interview, question d'anonymat, merci beaucoup". Claire s'était donc pliée à la demande de bonne grâce et attendait Raven à l'hôtel. De toute facon, elle avait un mauvais rhume consécutif à cette pluie battante inhabituelle pour la saison...
Elle terminait de rédiger une chronique sur l'ordinateur portable quand soudain son téléphone sonna. Elle se leva pour le prendre sur la table de nuit quand son regard tomba sur les feuillets sur lesquels reposait ledit téléphone. Les questions !!! Les questions pour l'interview !!!! Raven était tellement concentrée sur l'itinéraire qu'elle était partie sans emporter les précieux feuillets !!!!
Elle hésita un instant, tandis que résonnait encore la sonnerie de son téléphone, qui finit par basculer l'appel sur la messagerie. Elle le prit et envoya un sms à Raven l'étourdie: " tu as oublié les questions banane !!!". Elle se disait en effet qu'un texto troublerait peut-être moins qu'un appel la rencontre qui se déroulait à quelques kilomètres de là.
Son portable vibra quelques secondes plus tard : "Banane toi-même d'abord!!! C'est quoi la deuxième question? "

Claire tapota le plus vite possible sur le clavier du téléphone :

"Anna, qu'est ce qui vous a donné envie d'écrire ? Rêve de toujours ou inspiration subite ? "

Elle pressa la touche d'envoi, en espérant que l'orage qui empirait n'empêcherait pas le message d'arriver.

Raven frissonna visiblement à la suggestion lascive d'Anna. Une petite bulle de désir vint éclater à la surface de sa conscience mais heureusement, à ce moment-là, son portable vibra imperceptiblement. C'était Claire qui lui envoyait la question suivante. Sauvée par le gong. Elle se racla la gorge et dit:
- Anna, qu'est ce qui vous a donné envie d'écrire ? Rêve de toujours ou inspiration subite ?

Anna enchaîna avec un naturel total, ses yeux de chat déshabillant néanmoins le corps superbe de Raven délicieusement révélé par ses vêtements mouillés de coton devenus à moitié transparents.
- En fait, je me suis mise à écrire par amour pour une personne qui ne m'a jamais aimée en retour. C'est une histoire que je raconte sous une forme transposée dans "Là où tu es", mon vrai premier manuscrit, que je n'avais initialement écrit que pour cette personne inaccessible et insensible à mes sentiments comme à mes mots. Dans ce livre, je suis Charlie et j'aime Mina qui m'ignore. J'espérais que d'écrire un roman entier pour cette personne la ferait vaciller. En vain, malheureusement. Mais le virus m'avait prise. A peine le premier manuscrit terminé, je me suis lancée dans la rédaction des Trois Perles. Celui-là, je l'écrivais pour moi, avant tout. J'y mettais mes passions de toujours. Je montrais le mythe méconnu de Lilith en pleine lumière, je décrivais le calvaire des sorcières qui n'avaient voulu qu'aider les humains à mieux supporter la dureté impitoyable de la vie et qui pour cela étaient persécutées, violées, torturées, brûlées. Je sortais de nulle part des destins tragiques entremêlés, qui partaient du plus noir pour terminer dans la tendresse. Comme l'action se situait avant "Là où tu es", j'ai alors eu l'idée de diffuser "Les Trois Perles" en l'intitulant "mon premier roman" et d'en faire le premier volet d'une trilogie dont je suis en train de terminer le dernier épisode ces jours-ci. Très vite, les téléchargements se sont multipliés. J'ai dépassé hier mon 3000ème lecteur, après à peine un trimestre de présence sur le web. Et grâce à ce mode de diffusion, mon livre a atteint plus de 15 pays différents, y compris des non-francophones. Comme je ne suis qu'une simple amatrice, je vous assure que j'en suis très fière et très émue. Et comme je désire garder ma vraie identité inconnue, je me mets moi-même à l'abri de toute dérive prétentieuse. Ce n'est pas moi qui suis en train de devenir célèbre, c'est Anna. Je lui souhaite bonne route.

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- Nous aussi et surtout longue vie !
Raven ne put empêcher cette petite phrase, qui montrait le plaisir qu’elle avait pris à lire "Les Trois Perles de Domérat".
L’interview, grâce à l’intervention de Claire et de ce maudit portable, se déroulait pas trop mal, mais combien de temps cela allait-il durer...
- Je pense que je vais accepter votre proposition … Vous savez le peignoir.
Anna se leva avec grâce, le sourire qu’elle fit à ce moment-là provoqua un frisson dans le dos de Raven.
- Suivez-moi..
Malgré la pénombre qui régnait dans le couloir, Raven put observer les courbes parfaites d’Anna. Sa démarche, elle en était certaine, était faite pour accrocher le regard et sur ce point-là aussi, l’auteure avait du talent.
Anna pénétra dans la salle de bain et lui montra les serviettes et un peignoir.
- Prenez tout votre temps, de toute façon avec cet orage vous êtes bien mieux à l’intérieur, lui dit-elle en fermant la porte.
Enfin seule, Raven respira un grand coup. Elle était tombée par hasard sur le livre d’Anna et avait tout de suite accroché à cette histoire de sorcières, mais jamais elle n’aurait imaginé se retrouver dans la maison décrite dans le livre. Cette maison où Gabrielle exerce son pouvoir sur Charlie … Et si … Non, les sorcières n’existent pas, pensa-t-elle, plus pour tenter de se rassurer qu’autre chose.
Elle se sécha rapidement, enleva ses vêtements mouillés, les mit à sécher sur le rebord de la baignoire et enfila le peignoir désigné par Anna.
Elle prit son portable et envoya un message à Claire: "La question suivante ?? Appelle-moi dans 15/20 minutes."
De retour dans la pièce principale, elle retrouva Anna dans la même position qu’à son arrivée. Il faut avouer qu’elle savait se mettre en valeur et rendre l’ambiance quelque peu … inquiétante.

- Voilà, c’est vrai que c’est mieux comme ça. 3000 lecteurs dit vous ? Bravo. Vous avez mis votre livre en téléchargement libre sur Internet, pourquoi avoir choisi ce moyen de diffusion ? Simple envie de faire partager votre passion ou blasée des maisons d’édition ?

- Ce peignoir vous va à merveille. On dirait qu'il a été taillé pour vous.
- Ah? Euh, merci c'est gentil, je...
- C'est une amie qui me l'a offert. Voulez-vous que je vous raconte?
- Euh, oui, si vous voul...
- Je l'avais croisée un peu par hasard, à une soirée branchée à Paris. Elle s'appelait Leila...
- Ah tiens? Comme dans les Trois P...
- ...une Burkinabée superbe avec un regard capable de faire fondre n'importe qui. En tout cas, elle m'a fait fondre, moi. Bref, nous avons... passé une nuit inoubliable et au matin, elle m'a dit: garde mon peignoir, il te va mieux qu'à moi. Si vous le voulez, je vous l'offre à mon tour.

Raven sentit une boule de chaleur diffuser dans son ventre et le feu lui monter aux joues. Elle tenta de se reprendre et, pour se donner une contenance, jeta un coup d'oeil sur l'écran de son portable et lu d'une voix légèrement bousculée le dernier SMS reçu de Claire.
- Tuaoubliélékestionbanane.
- Je vous demande pardon?
- Fmkgfsttwxcsvvenfoirédesmeussdeclairdesarassjépaluleboncépassuilà
- Vous ne vous sentez pas bien? Je ressens comme une légère tension chez vous. Voulez-vous que je vous masse un peu?
- Non je là oui enfin que allo mais vous je au secours elle argh euh aaah oui je voulais dire mais pourquoi cette diffusion par internet? Hein, dîtes? Allez, quoi, hein?
- Ah oui. Pourquoi internet, très bonne question. Vous êtes sûre que vous vous sentez bien? Vous ne voulez pas vous allonger un peu avant de... d'aller plus loin?
- Mon nerci. Son merni. N-n-n-n-non meeerrrrr ciiiiiiiiiiiiiii. Là. Alors? Internet? Tout ça? Hein?
- Du calme, du calme, tout va s'arranger. Internet... En fait, la raison était très simple. Je me suis dite qu'aucun comité de lecture d'aucun éditeur ne donnerait un avis favorable unanime après avoir lu certains passages des Trois Perles. Tiens, à ce sujet, vous ai-je dit que l'idée du tatouage de Gabrielle est autobiographique? Je porte exactement ce même tatouage. Attendez, je vais vous le montrer.
- Le tato. Le touta. Le tata. Le vous voulez dire celui que enfin qui va de votre jusqu'à vos euh votre enfin vous savez quoi le tatouage?

Raven eut soudain la vision claire d'être à la croisée de deux chemins. Soit elle partait en courant. Soit elle éteignait son portable.

Elle n'hésita pas.

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Claire sortit de la douche et s'enroula dans la serviette de l'hôtel. Une pauvre chose en coton toute fine et minuscule.... Pffffffff, Fabien aurait quand même pu leur offrir un VRAI hôtel qui donne de VRAIES serviettes et même carrément des peignoirs. Par une étrange association d'idées, penser à un peignoir lui rappela Raven. Pourquoi diable l'image de son amie lui était-elle venue à l'esprit en même temps que l'image d'un peignoir? Etrange ....
Le sifflement d'un oiseau coupa court à ses interrogations. C'était un sms de Raven qui arrivait : "La question suivante ?? Appelle-moi dans 15/20 minutes."

Elle pianota la suite de l'interview sur le portable : "Vous dites à la fin des "Trois Perles" qu'il y a beaucoup de vous dans ce roman. Charlie est-il seulement une facette d'Anna, ou êtes-vous à la fois Salomé, Gabrielle et Nora ?"

Elle pressa le bouton d'envoi et se dit qu'elle avait encore une dizaine de minutes avant de rappeler Raven comme celle-ci lui avait demandé. Tiens, d'ailleurs, pourquoi voulait-elle qu'elle l'appelle ? C'était bizarre.... Comme si quelque chose d'étrange se déroulait à quelques kilomètres de là. Ce n'était pas inhabituel que Raven l'appelle (et en général leurs conversations duraient un bon moment !), mais là c'était Raven qui lui demandait à elle de l'appeler. Et avec un délai en plus.
Claire alluma une cigarette et se posta devant la fenêtre ouverte. La pluie redoublait de violence

Raven ne fit ni l'un ni l'autre. Elle reposa sa question avec fermeté. Après tout, elle était journaliste, elle n'allait pas se laisser impressionner par cette... cette... euh... Elle n'allait pas se laisser impressionner.

Anna eut un soupir désabusé et répondit enfin sérieusement à la question que Raven lui posait.
- Bon, je vais vous dire le fond de ma pensée. Un écrivain qui décide d'être lu n'a que faire de considérations secondaires telles qu'être édité. Sa seule motivation, c'est être lu, c'est tout. D'ailleurs, savez-vous que seulement 1% des auteurs français vivent de leur plume? Alors, pour les 99% restants, quelle importance finalement que leurs livres se vendent ou pas? Si la vraie motivation, c'est d'être lu, autant donner son manuscrit à tous. Je vais vous dire une chose: j'ai déjà un métier, j'ai déjà une source de revenus qui me permet de vivre. J'écris par plaisir et aussi pour le plaisir d'être lue. Personne (ou presque) ne sait qui je suis, je ne cherche pas de gloire personnelle. Et je trouve illusoire - et déplacé - de demander de l'argent en échange de ce que j'écris. Internet m'a donc semblé un médium évident. Quand j'ai écrit les Trois Perles, j'ai un peu hésité à mettre le mansucrit en ligne, mais seulement à cause des scènes les plus extrêmes. Alors, j'ai envoyé mon récit à ma mère. Je me suis dite que si ce texte devait devenir public, il ne fallait pas que ma mère le découvre par hasard. Elle l'a lu. Elle n'a pas aimé une foule de choses et me l'a dit. Elle a détesté les scènes violentes et aussi les scènes de sexe. Mais elle m'a dit: tu écris bien , tu as une pâte qui n'est qu'à toi, tu n'as pas à craindre d'être lue même si je ne suis pas le public auquel s'adresse ton livre. Alors, je l'ai mis en ligne. Au début, des surfeurs anonymes sont tombés sur mon site je ne sais comment. Ils en ont parlé, d'abord sur le forum des Inrocks (un forum d'une nullité totale à mon avis, empli de mépris et de branchitude artificielle et creuse), puis sur celui de France Télévision (bien plus riche, sans aucun doute). Je me suis introduite, je me suis exposée, j'ai commencé à dialoguer avec mes premiers lecteurs. J'ai écrit à mes amis vers le 25 mai: "C'est fou, je suis passé à 25 téléchargements! Vous vous rendez compte? J'ai peut-être 50 lecteurs à l'heure qu'il est: les 25 qui ont téléchargé et leur conjoint ou ami le plus proche! C'est dingue!". Fin juin, j'avais passé la barre des 600. Et aujourd'hui, j'en suis à plus de 3000 lecteurs qui n'ont rien fait d'autre que télécharger et lire mon livre simplement parce que d'autres lecteurs leur ont dit: tu devrais lire ça, et en plus c'est gratuit, aucune barrière à découvrir si ça te plait ou pas, tu ne prends aucun risque, tu ne craques pas 20 euros que tu regretteras ensuite si le récit ne t'a pas plu, tu lis, tu aimes ou tu n'aimes pas, c'est tout. Et ça, ça me correspond totalement comme état d'esprit et comme démarche: ne décidez pas de me lire ou pas en fonction de vos économies mais seulement en fonction de vos goûts. Vous comprenez ce que je veux dire? Quoi de plus idéal que cette situation? Quoi de plus libre comme démarche? Quoi de plus vrai pour un auteur que de savoir que s'il plait, c'est uniquement pour ce qu'il écrit et non pour se justifier à soi-même le prix qu'a coûté l'achat de son livre? J'adore cette idée, je suis fière de l'avoir eue. Vous pouvez dire que vous n'avez pas aimé ce que j'ai écrit mais au moins vous ne pouvez pas regretter ce que ça vous a coûté de vous faire votre opinion. Si vous aimez, c'est vraiment parce que ça vous plait. Si vous n'aimez pas, vous ne pouvez pas me reprocher de vous avoir volé votre argent. J'ai vu quelques réactions négatives sur certains forums. Je les respecte toutes. Personne parmi ceux qui n'ont pas aimé ne peut me traiter d'escroc ou de voleuse parce que je ne leur ai rien pris. Personne ne peut dire que ce qui lui a plu n'est pas foncièrement ressenti parce que les sentiments que j'ai créés par mon écriture n'ont aucune connotation liée à un quelconque aspect commercial. Certains disent que ce qui est gratuit ne vaut pas grand chose. Je crois moi que les seuls cadeaux qui valent sont ceux qui sont offerts avec le coeur. Et ce que je donne avec ce manuscrit (et bientöt avec les suivants), c'est mon coeur. Je m'expose, je me donne et n'importe qui a le droit de dire ce qu'il en pense. Je ne peux pas être plus sincère. Vous comprenez?

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Le silence accueillit la question. Raven était suspendue aux lèvres d’Anna, l’auteure avait parlé avec une telle passion qu’il était difficile de répondre aussi vite. Elles savourèrent toutes les deux ce moment.

Raven ressentit un frisson le long de sa cuisse … Puis un autre, un peu plus long … la question suivante venait de s'afficher sur son portable:
« Vous dites à la fin des "Trois Perles" qu'il y a beaucoup de vous dans ce roman. Charlie est-il seulement une facette d'Anna, ou êtes vous à la fois Salomé, Gabrielle et Nora ? »

Cette question était d’autant plus intéressante maintenant qu’Anna était devant elle, auteure de talent, passionnée, envoûtante, joueuse, charmeuse. L’apprentie journaliste devina à ce moment qu’elle n’était pas au bout de ses surprises.
- Je vous comprends parfaitement.
Une gorgée de cette liqueur un peu forte pour revenir à la réalité et elle posa la question :

- Vous dites à la fin des "Trois Perles" qu'il y a beaucoup de vous dans ce roman. Charlie est-il seulement une facette d'Anna, ou êtes vous à la fois Salomé, Gabrielle et Nora ?

L'auteure partit d'un grand éclat de rire.

- Vous voyez, vous aussi, alors que vous êtes physiquement en face de moi et que vous savez qui je suis vraiment, vous me parlez d'Anna comme si elle existait vraiment. Ma réponse à votre question, c'est que les personnages que vous me citez sont effectivement différentes facettes de qui je suis - y compris Anna elle-même! Tous les auteurs de fiction créent des univers à eux, depuis l'écrivaillon du dimanche jusqu'à Tolkien. Ceux qui emploient un pseudo ajoutent une couche supplémentaire entre la réalité et la fiction, justement celle du personnage imaginaire qui est officiellement l'auteur du livre. Rappelez-vous Emile Ajar qui n'était autre que Romain Gary mais qui est devenu tellement célèbre en quelques semaines à cause du succès de "La vie devant soi" que les articles ont commencé à fleurir sur lui. Du coup, Gary a proposé à son neveu de jouer le rôle d'Ajar afin de recevoir le Goncourt et de répondre aux interviews! La mystification poussée jusqu'au bout, dans la droite ligne des surréalistes. Le pot aux roses ne sera révélé que 18 mois après le suicide de Gary, qui s'est même amusé à écrire "Vie et mort d'Emile Ajar". Quel coup superbe! Bon, je reviens donc à votre question. Anna représente tout mon côté sensuel débridé provocateur charmeur fêtard flamboyant etc. Et dans la vraie vie, j'ai cette palette-là de comportements même si je ne les exprime pas de la même manière que le fait Anna sur les différents forums où elle apparaît - vous remarquez que je parle d'elle à la troisième personne, d'ailleurs, c'est parce qu'elle n'est pas moi, je ne suis pas schizo.

Elle rit à nouveau. Raven était bouche bée. Celle qui n'était pas tout à fait Anna reprit:
- Vous êtes à croquer quand vous avez cette expression, vous savez? On dirait une petite fille devant une vitrine de Noël. Et votre peignoir s'est tout ouvert depuis tout à l'heure, quelle vision de rêve, c'est vraiment charmant.

Raven sursauta et se rendit compte que oui, le peignoir s'était carrément ouvert alors qu'elle s'était penchée en avant, captivée par les mots de... de... de l'autre, là, l'auteure-quel-que-soit-son-nom. Le feu lui monta aux joues une fois de plus et elle referma d'un geste maladroit les deux pans du peignoir en bredouillant des mots incompréhensibles. Entre le vibreur du portable contre sa cuisse et le regard ouvertement excité d'Anna, elle commençait à se sentir toute chose. Anna reprit cependant le fil de sa réponse. Décidément, elle maniait le contre-pied à merveille.
- Charlie est incontestablement mon côté masculin, autant qu'Anna est mon côté féminin. Il est à la fois rationnel, comme je le suis dans ma vraie vie de scientifique, et extrêmement sensible, romantique même. Cet aspect-là est beaucoup plus développé dans "Là où tu es", je vous ferai passer le manuscrit si vous voulez, comme je vous l'ai dit, il n'est pas encore diffusé.
- Waow! Oh oui! Merci! Ce serait vraiment très gentil!
- Attention, je vous préviens, c'est une histoire d'amour pur. A la dououreuse exception de la personne pour qui je l'ai écrite, toutes celles à qui je l'ai faite lire ont eu ensuite envie que je devienne leur amante. Toutes. Et certaines y sont parvenues. Quand je voulais bien aussi, je veux dire. D'ailleurs vous, je ne dirais pas non.
- Gloups.
- Pardon?
- Non rien euh hum ben je le lirais bien quand même pour le reste hein ha-ha euh on verra si je ou alors là vous non de faut que mais bon on verra quoi.
- Vous n'êtes pas très claire, parfois. Vous devez être vraiment très fatigu...
- Naaaaaaaan ça va, ça va et donc, vous disiez, Charlie, tout ça? Mmmh? Hein, dîtes? Ma question? Vous y répondez?
- Oui, Charlie... Charlie dans les Trois Perles est un paumé, qui suit son désir dans un désordre amoureux total. Et pourtant, il est touchant, attachant, enfin il me semble. Il est sincère, c'est ce qui fait la différence entre lui et un serial-dragueur. Il aime vraiment ces femmes dont il croise la route. Il est vraiment déchiré quand elles lui font mal. Il ne triche pas, il est juste un peu perdu parce qu'il a un immense besoin d'amour. Et ça, c'est tout moi. J'ai vécu une période comme ça dans ma vie, une vagabonde amoureuse. Ma devise, c'était: mieux vaut la brûlure à l'ennui. Il m'arrive toujours de le penser, même si parfois je me surprends à hésiter avant de me carboniser à nouveau. Récemment, j'ai préféré reculer. Un passage à vide ou un coup de vieux? Mmmh. Je suppose que je le saurai à la prochaine occasion. Vous ne trouvez pas qu'il fait chaud?
- Padutoufépachodutouçavamerci. Et les personnages féminins?
- Bizarre, vous transpirez pourtant. Ca met bien en valeur le grain de votre peau. Vous devez être sublîme quand vous êtes en train de faire l'am...
- Salomé, c'est vous aussi?
- Salomé, c'est particulier. Le chapitre "Salomé pleure" décrit des évènements réels - en dehors des détails liés à l'intrigue du roman et des modifications de ma part pour préserver son anonymat, bien sûr. La vraie "Salomé" m'a un jour raconté l'histoire de son aïeule, violée par le planteur de coton chez qui elle était esclave et dont "Salomé" descend. Cette anecdote tragique est à l'origine d'une partie importante du récit. Beaucoup de métis antillais et guadeloupéens partagent les mêmes origines dramatiques.
- Nora?
- Nora est le genre de femme que j'aimerais parfois être plus souvent: légère, pétillante, simple, directe. Quant au drame de son enfance, il est proche d'une situation que j'ai vraiment vécue. Ne m'en voulez pas de ne pas vous en dire plus aujourd'hui.
- J'ai gardé la plus extraordinaire pour la fin: Gabrielle.
- Ah, Gabrielle... Voilà un personnage que j'ai vraiment adoré créer et rendre vivante. J'ai une passion pour l'histoire de la sorcellerie, comme vous le savez. Et, dans ma vraie vie, j'ai une parente qui a exercé le métier de sorcière pendant plusieurs années dans le bocage normand, en tant que sociologue et psychanalyste mais quand même, quelle expérience d'immersion! Elle en a ramené deux livres époustouflants. Je me souviendrai toujours de la soirée à la maison où elle nous a raconté comment elle avait flippé le jour où le sorcier concurrent du village voisin, authentique sorcier lui, a jeté un sort sur son fils d'une dizaine d'années, qui est resté très malade pendant des jours sans qu'aucun médecin n'y comprenne rien. Mais je reviens à Gabrielle. Du point de vue de l'écriture, ça a été très curieux. Au début, je m'étais dite: elle va être d'une cruauté incroyable à cause de son passé et il faut qu'elle soit terrifiante. Il faut qu'on se dise, quand Charlie va la rejoindre, qu'il est en train de courir un danger mortel alors qu'il croit juste qu'il va passer une nuit sympa pour se changer les idées. Et terrifiante, elle l'est, bien sûr, mais pourtant, au fur et à mesure que je racontais son parcours, je m'attachais à elle, j'avais de la compréhension et même de la compassion pour cette jeune femme beaucoup plus victime que bourreau. Plusieurs lecteurs - surtout des lectrices - m'ont écrit pour me dire à quel point Gabrielle les avait touchés. C'est un très beau compliment pour un personnage aussi noir, j'en suis vraiment fière parce que ça veut dire que ce qui reste d'elle malgré tous ses excès, c'est son humanité. La première motivation que j'ai eue à vouloir écrire un troisième volet aux aventures de Charlie (intitulé "L'éternel amoureux errant"), ça a été de retrouver Gabrielle. Je me souviens qu'avant d'en entamer l'écriture, j'ai écrit un mail à une amie où je lui disais: Gabrielle me manque. Ce troisième épisode est complètement habité par elle, j'en ai presque fini l'écriture. Elle est différente de l'ado broyée et perverse qu'elle était dans les Trois Perles, elle a mûri, en particulier grâce à ce qui lui arrive à la fin des Trois Perles et que je ne vais pas révéler bien sûr - mais vous, vous voyez ce que je veux dire. Gabrielle m'habite en permanence, elle a évolué avec moi. Dans les Trois Perles, elle était une allégorie de mon côté sombre, dans ces moments où je suis écorchée vive à cause de mes sentiments. Depuis, j'ai rencontré une femme dont le coeur est exceptionnel et qui est devenue ma meilleure amie, celle pour qui je n'ai aucun secret, celle à qui je peux parler de tout, y compris de mon attirance pour d'autres personnes sans qu'elle ne manifeste la moindre jalousie. Elle ne me juge jamais, elle m'écoute toujours et quand je sombre, elle me sort la tête de l'eau avec simplicité et me montre comme la vie est belle. Cette générosité, cette luminosité, j'ai voulu la transmettre en quelque sorte à Gabrielle. Attention, je ne veux pas dire que dans "L'éternel amoureux errant", mon amie est représentée par Gabrielle, pas du tout. Gabrielle est Gabrielle. Mon amie, je lui ai par contre donné le premier rôle "par procuration" en racontant ce troisième épisode à la première personne, la narratrice étant, elle, directement inspirée des traits de caractère de mon amie. Elle aussi, elle adore Gabrielle, aussi bien celle qu'elle est dans les Trois Perles que celle qu'elle devient dans l'Eternel. J'ai lu quelque part qu'un auteur devait toujours aimer tous ses personnages, même les plus sombres, pour les rendre réalistes. Je crois que je n'en aime aucun plus que Gabrielle.

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Claire tira sur sa cigarette et fut prise d'une quinte de toux. Saleté de rhume, saleté de temps !! Cet orage était plutot violent, et inhabituel pour la saison.... En règle générale, ce genre d'orage survenait plutôt en fin d'été, et les pluies torrentielles provoquaient régulièrement des innondations. Elle était inquiète pour Raven. Arriverait-elle à revenir sous ce déluge ? Pourrait-elle seulement partir de chez Anna, dont la demeure, si l'on en croyait ses explications, était isolée au coeur des bois....Qui dit bois dit chemins de terre, qui dit terre dit boue, qui dit boue risquait de dire: Raven coincée pour la nuit...
Elle se demandait comment se déroulait cette interview. Elles avaient plaisanté toutes les deux dans la voiture, se demandant bien à quoi ressemblait Anna. Claire disait que, peut-être, Anna était une vieille dame respectable qui buvait du thé en mangeant un cake au citron pendant qu'elle écrivait les scènes sulfureuse des "Trois Perles". Ou alors, une ménagère de banlieue inoffensive comme Grace Metalious qui avait fait scandale avec son roman Peyton Place dans les années 50.
Raven avait même suggéré qu'Anna pouvait être un homme, pour ce qu'elles en savaient. Mais à sa facon de parler des femmes, de décrire leurs tourments de l'âme, c'était peu probable...

Elle jeta un coup d'oeil sur l'horloge de son portable, referma la fenêtre et composa le numéro de Raven.

- Gabrielle ?
Raven devait-elle avouer qu’elle aussi, c’était le personnage qui l’avait le plus attirée ? De toute façon, il était évident quand on connaissait un tant soit peut le passé de la jeune femme qu’elle ne pouvait être qu’attirée par le côté sombre de Gabrielle. Elle avait en quelque sorte combattu cette noirceur qui habite les adorateurs de Lilith, elle en était sortie indemne, c’est vrai, mais dans le combat, elle avait perdu une amie pour toujours. Il lui arrivait de se demander où était cette amie à l’heure actuelle et ce qui ce serait passé si elle s’était laissée entraîner par cette facilité qui lui avait été offerte … Mais là n’était pas le sujet, elle n’était pas là pour parler de son attirance pour tout ce qui touche à l’occulte mais bien pour réaliser une interview.
Un frisson la parcourut une fois encore, décidément ce satané téléphone lui avait donné des sensations aujourd’hui. Mais cette fois, il n’en était pas responsable, Raven reconnaîtrait toujours cette impression qui la parcourait quand elle repenserait à tout cela.

Un frisson... Une fois encore ? Ah non, cette fois-ci, c’était bien la faute à cette satanée technologie. Elle se souvint d’avoir demandé à Claire de l’appeler, mais le danger qu’elle ressentait à son arrivée n’était plus là et décrocher risquait à coup sûr de casser cette ambiance. Elle décida donc d’ignorer les vibrations de son portable (Claire comprendrait le message) pour se concentrer sur la question suivante, et c’est avec beaucoup plus d’assurance qu’elle la posa:


- Stephen King (notamment) a écrit deux histoires terrifiantes sur les "alias" qui finissent par prendre la vie des auteurs. N'avez vous pas peur qu'Anna finisse par faire de même ?

- Question intéressante, que je me suis posée plus d'une fois pendant qu'Anna devenait une personne de plus en plus réelle sur les forums. En effet, ma seule "technique" si je peux dire pour faire d'Anna un personnage crédible à 100% était de m'imaginer que j'étais vraiment elle dès que je me connectais pour participer à une discussion. Un peu comme le font les acteurs pour bien s'imprégner de leur personnage, je suppose. Il fallait que je ne vois plus Anna comme une création de mon imagination mais que je me sente ETRE Anna. Et même si je me disais "je sais que je suis moi et qu'Anna n'existe pas", dès que je devenais Anna, il n'y avait plus qu'elle en moi. D'ailleurs, je me souviens de plusieurs moments où ses réponses du tac au tac aux autres forumeurs me surprenaient. Je veux dire, moi je n'aurais pas forcément dit la même chose, c'était Anna qui parlait, pas moi. Etonnant, comme sensation. En particulier, Anna est extrêmement sensuelle avec les filles et plutôt froide avec les mecs. C'est venu comme ça et ce qu'il y a d'intéressant, c'est qu'Anna plait aux filles, quelles que soient leurs préférences sexuelles (quelle importance, de toutes façons, puisque ces "contacts" sont uniquement virtuels). C'est avant tout un jeu, sensuel plus que dragueur, détendu, un peu comme des chatons qui jouent à se faire des mamours. J'ai eu des échanges particulièrement chauds - et drôles à la fois - avec une femme remarquable, dont je suis devenue rapidement très proche parce qu'elle jouait en fait exactement au même jeu sensuel que moi et s'en amusait autant que moi sans aucune arrière-pensée ambigüe. Comme pour les rares autres rencontres de forums avec qui j'ai vraiment accroché, j'ai révélé assez vite à cette femme ma vraie identité parce que je voulais qu'elle sache qui j'étais si elle devait me donner son amitié, donc sa confiance. Cela n'a pas été sans une certaine appréhension: et si elle n'aimait chez moi que mon côté Anna et non moi-qui-suis-moi? Mais sa réaction a été de me dire que ce qu'elle aimait chez moi, c'était mon âme et que ça, je n'en avais qu'une. Et elle a raison, bien sûr. Je ne veux pas parler d'âme au sens religieux, c'est juste le mot le plus simple pour dire "tout ce qui est vraiment la personne que je suis". J'exprime des facettes différentes quand je suis Anna ou quand je suis vraiment moi mais en fait, je ne mens jamais, dans toutes ces discussions de forums, sur ce que je crois ou ce que je ressens. J'ai un masque, certes, mais je suis sincère. Pour aller au bout de votre question, si c'était un jour mon côté Anna qui prenait en quelque sorte le dessus sur mon côté "moi-réel", je ne pense pas que ce serait terrifiant en quoi que ce soit, parce que j'aime mon côté Anna et qu'il a toujours été en moi. Mieux encore, partout où je suis allée sous le nom d'Anna, Anna a été aimée et respectée de tous, y compris sur certains forums fréquentés par des gens plutôt durs qui aiment bien casser. Anna a été respectée même par ces gens-là. Les rares tentatives d'attaque personnelle (d'Anna, je veux dire) se sont très vite arrêtées d'elles-même, parfois grâce à l'intervention musclée et protectrice d'un autre casseur qui disait "pas touche à Anna, elle vaut bien mieux que toi". Et puis, il y a eu de la part de certaines personnes, surtout des femmes, des confidences merveilleuses, souvent douloureuses, toujours incroyablement intimes et personnelles, qu'elles ont faites à Anna et qu'elles ne m'auraient pas forcément faites à moi. Je peux vous dire que ça fait chaud au coeur de sentir qu'on inspire à ce point la confiance et l'écoute de l'autre. Et quand quelqu'un me donne sa confiance, moi je lui donne tout en retour. Anna, finalement, est peut-être l'incarnation de ce que j'ai de mieux en moi. Alors, si Anna prenait le dessus, je ne pourrais qu'en sortir meilleure. Et puis, bon, comme vous le voyez, je suis face à vous et je suis un être humain normal. Anna est une cyber-légende, moi j'existe pour de vrai. Tout ce que dit Anna, c'est moi qui le dit. Suis-je moins ceci ou plus cela en vrai que je ne le suis sous mon masque d'Anna? Est-ce que l'apparence a plus d'importance que la réalité? Je veux croire que non. Et j'espère que vous aussi, en découvrant qui je suis, vous m'aimerez autant sous ma vraie identité que ce qui, chez Anna, vous a séduit au point de vouloir me rencontrer.

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Bonjour, je ne suis pas disponible pour le moment, merci de laisser un message et je vous rappelle dès que possible "

Allons bon !! Voilà que Raven ne répondait pas... Claire essaya encore une fois, mais elle fut de nouveau basculée sur la messagerie.
Bon, de deux choses l'une : soit Raven était tellement concentrée sur son interview qu'elle ne pouvait pas répondre, soit elle était vraiment dans les problèmes jusqu'au cou... Claire soupira. Que faire ? Des scènes des "Trois Perles de Domérat" lui revenaient en mémoire, et elle se demanda si tout allait bien pour son amie. Parce que là, son silence devenait franchement inquiétant. Claire imaginait des scènes de sabbat, des philtres puissants dans une inoffensive tasse de thé, voire même une tentative de meurtre rituel ?
"Raisonne-toi ma grande, Anna n'est pas une sorcière, Anna n'est pas une sorcière, Anna n'est pas une sorcière".
Elle se répétait cette litanie sans fin pour tenter d'apaiser son angoisse. Elle chercha des yeux les clefs de sa voiture, avant de se rappeler que c'était Raven qui l'avait prise pour se rendre chez Anna. Voilà qui n'était pas fait pour calmer ses craintes. Sa vieille Opel Corsa, de 13 ans d'âge tout de même, résisterait-elle aux trombes d'eau déversées par le ciel ? Parce que si Raven devait partir précipitamment, parce que, au hasard, elle était poursuivie par une sorcière en furie brandissant un couteau long comme le bras, elle était mal barrée avec sa "titine" dont le moteur se noyait à la moindre flaque d'eau...

Il lui restait encore un espoir.
Elle tapa la dernière question de l'interview sur le clavier de son portable :
"Parlons un peu d'avenir : Qu'en est-il de la suite de la trilogie ? Quand, et sous quelle forme pourrons-nous la trouver ? Toujours sur le net, ou avez-vous pu séduire un éditeur ?"
Elle pressa le bouton d'envoi, attendit quelques secondes... Ouf ! Un accusé de réception ! Raven (ou du moins son portable) avait bien reçu le message.
Elle pianota alors rapidement : "suis inquiète, kesski se passe?"