Coloane, sans doute le plus grand écrivain chilien, déploie son talent dans un recueil de nouvelles perdues au fin fond de nulle part : la Terre de feu, ce grand sud chilien balayé par tous les vents de l'enfer, terre de désolation mais aussi de profonde harmonie.
Bergers, péons, chasseurs de phoques, marins ou contrebandiers, ils ont tous comme point commun d'être d'éternels vagabonds, portant dans leur cœur la même solitude désespérée.
Chaque nouvelle de Cap Horn est un joyau noir, parfois éclaboussé d'une lueur imprévue telle La poule aux œufs de lumière qui raconte la lutte sans merci du gardien en chef d'un phare au cœur du détroit de Magellan pour sauver de la mort une poule au plumage fleur de fève que son assistant veut dévorer. Une tempête sans précédent empêche le phare d'être ravitaillé et les deux hommes meurent de faim, ne survivant que par l'œuf que pond chaque jour la poule depuis que la tempête a éclaté. Le gardien en chef a compris que chacun de ces œufs est une nuit de lumière pour les bateaux perdus dans la tempête.
Dans la dernière nouvelle du recueil, ces quelques lignes résumeront toute l'âme de Coloane, et il n'y aura rien besoin de rajouter :
" Lorsque nous avons chargé notre barque d'illusions et de rêves dorés, et que nous restons abasourdis devant la traîtrise, contemplant l'embarcation qui s'évanouit dans le lointain, emportant tous nos biens et ne nous laissant que d'inutiles hardes … alors nous faiblissons; puis jetant un regard derrière nous, nous apercevons un chemin de retour, nous nous ressaisissons et, bien que nous marchions ployés sous notre lourde croix, l'âme brisée, nous trouvons encore la force de nous relever, de jeter la croix sur quelque sentier poudreux et de redevenir nous-mêmes. "
Fäerie