Etats Unis, début du XXème siècle. Elsa a fui sa famille avec l'espoir chevillé au coeur de fonder un foyer lui apportant stabilité et amour. Sa rencontre avec Harry "Bo" Mason, aventurier fort en gueule, épris de découvertes mais surtout en quête de fortune, changera sa vie à jamais. Bien loin de la stabilité qu'elle espérait, Elsa se verra trimbaler au fil des lubies de son mari, jamais rassasié, dans toute cette Amérique si changeante.
Difficile de résumer ce classique américain, que dis-je ce MONUMENT de la littérature, écrit dans les années 30! Il en impose c'est certain! Tout d'abord par sa pagination, plus de 800 pages, par son écriture ensuite, d'une très haute tenue ( bravo au traducteur Eric Chedaille!), enfin et surtout par la faculté qu'a son auteur à nous transporter via ses personnages dans un monde aujourd'hui disparu où les plaisirs simples étaient appréciés à leur juste valeur, où la rudesse des hommes étaient contrebalancées par la sensibilité des femmes. Elsa dès les premières pages nous apparait comme une oie blanche, perdue dans cette ville où l'attend son oncle, chez qui elle va emménager et vite rencontrer un homme hâbleur, Bo Mason dont elle va tomber amoureuse. C'est le moment de jeter un oeil sur ce personnage, assurément un des plus réussis de la littérature américaine: d'une complexité folle, tour à tour enjôleur, colérique, aimant sans jamais réussir à le montrer autrement que par rudesse, la naissance de ses deux enfants ne le modifiant pas plus, toujours à avancer, jamais satisfait de sa condition, pensant qu'en amassant le plus d'argent possible (déjà le rêve américain, le fameux way-of-life porté à son pinacle) sa famille n'en sera que plus heureuse, sans jamais se rendre compte de l'épuisement que cela apporte à sa femme vivant un temps sous une tente, à la portée des bêtes sauvages, au moment où Bo, après avoir délaissé un saloon s'est lancé à la recherche du filon oriffaire. Ce sera la première rupture dans le couple, à travers une scène effarante où Bo explose suite au énième mensonge de son cadet Bruce, qui ne peut se résoudre à se rendre aux cabinets extérieurs en pleine nuit préférant déféquer à quelques mètres de la "maison". Cette scène qui au début peut prêter à sourire (Bo rentrant dans la tente aménagée, les souliers crottés) va vite se transformer et donner en quelques pages ce que la littérature a produit de plus affreux dans le genre. La façon dont l'ainé Chet regarde sa mère et la questionne alors que son frère en état de choc, le visage plein de morve d'avoir si crié et pleuré après ce que son père lui a infligé est hallucinant de vérité. La littérature portée à ce niveau est aussi parlante que les images, mais bien plus forte car on se les fait soi-même! Par la suite, Elsa devra choisir entre quitter son mari ou lui pardonner, mais cela marquera à jamais les enfants qui seront toujours tiraillés par le sentiment amour-haine qu'ils éprouveront envers cet homme si difficile à appréhender. Des scènes cocasses ou tristes, ce récit n'en manque assurément pas: que dire de ce voyage prévu pour la fête du 4 juillet où toute la petite famille au moment de partir voit l'antique Ford refuser de démarrer. Ce passage est incroyable dans la manière qu'à Stegner à faire monter à partir de rien la tension et à montrer la tristesse de Bruce lorsque finalement, il apparait que cela ne se fera pas. On a tous en souvenir un moment de notre vie où une promesse n'a pu être tenue...En dix chapitres, dont les neuf premiers commencent toujours par une description lyrique ou non, Stegner nous émeut comme rarement avec comme culmen la mort interminable mais tellement REALISTE (très difficile à lire pour qui l'a vécu j'imagine) d'Elsa (je n'en dirai pas plus si ce n'est qu'il est difficile de ne pas avoir les larmes au yeux à la fin). Alternant les moments forts et les instants plus simples (pas de faiblesse ici!!) Stegner a écrit un chef d'oeuvre qui je le sais me marquera à vie. A peine terminé, j'avoue avoir eu envie de le relire pour retrouver la jeunesse (et la genèse) des personnages, ne rien connaître à nouveau de ce monument littéraire...hélas c'est du domaine de l'impossible. J'envie ceux qui ne l'ont pas encore lu!
Je place ce roman au même niveau que La puissance des vaincus de Wally Lamb, Il faut qu'on parle de Kevin de Lionel Shriver et dans un genre identique (mais plus romanesque, moins "brut de décoffrage") Au coeur de l'ouest de Pénelope Williamson. La parité est respectée!
Pas de note pour ce roman. On ne note pas les chef d'oeuvre, on les déguste!