Ah que voilà un roman ample et d'une densité rare, mais pas si étonnant lorsque l'on remarque le nom de l'auteur: Pierre Lemaitre! S'attaquer à la première guerre mondiale alors que le centenaire bat son plein, cela peut paraitre de l'opportunisme. C'est mal connaitre cet auteur qui, à n'en pas douter, nous livre là le premier roman d'une fresque espérons-le en droite ligne de ce que fut celle des Rougon-Macquart de Zola...mais dépeignant ici notre 20ème siècle aussi destructeur que novateur. On plonge directement dans l'horreur des tranchées, puis des hôpitaux dédiés aux futurs "gueules cassées", à travers deux personnages aussi inoubliables qu'aux antipodes l'un de l'autre, mais inséparables malgré tout: Albert Maillard et Edouard Péricourt. Ce dernier, affreusement défiguré et ne voulant pas retrouvé sa riche famille -ce qui se fera de manière détournée- comptera sur son nouvel ami pour s'en sortir dans un environnement parisien béatifiant les morts autant qu'il rejette les survivants. Et survivre, Maillard ne pense qu'à ça, à travers une multitude de petits boulots infamants, servant avant tout à procurer cette drogue -la morphine- dont ne peut plus se passer Edouard. En parallèle nous suivons le destin D'Aulnay-Pradelle, fier lieutenant sorti grandi de la guerre et ayant épousé la soeur...d'Edouard! Tous ces destins vont s'entrechoquer à travers des personnages aussi inoubliables que Mr Péricourt, père d'un fils qu'il croit décédé à la guerre, à jamais inconsolable de l'avoir tant rejeté en raison de son homosexualité, Madeleine la soeur-tampon d'Edouard cocue un si grand nombre de fois par d'Aulnay-Pradelle, qu'elle n'en fait plus cas, M Merlin -ah quel figure !(la plus réussie du roman, oui sans aucun doute!), l'administrateur pointilleux, Louise, celle qui me fait penser qu'il y aura une suite, car c'est la seule qui n'ait pas sa conclusion (rapprochement avec Nana de Zola?), sans oublier l'incroyable stratagème mis en place par Edouard Péricourt plus pour se venger de cette guerre qui lui a tout pris que pour l'appât du gain... En bref un Goncourt qui allait de soi pour un écrivain qui est maintenant reconnu à sa juste valeur, ce que hélas le roman policier ne lui aurait jamais permis!
5/5
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