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Message Publié : 25/04/2012 07:04 
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Au pays des kangourous de Gilles Paris
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Simon, neuf ans, vit avec son père Paul et sa mère Carole dans un vaste appartement parisien au Trocadéro.


En fait, le couple n'en est plus un depuis longtemps, la faute au métier de Carole, qui l'accapare. Paul est écrivain, il écrit pour les autres. Carole est une femme d'affaires, elle passe sa vie en Australie, loin d'un mari qu'elle n'admire plus et d'un enfant qu'elle ne sait pas aimer. Le jour où Paul est interné pour dépression, Simon voit son quotidien bouleversé.

L'enfant sans mère est recueilli par Lola, grand-mère fantasque et jamais mariée, adepte des séances de spiritisme avec ses amies « les sorcières », et prête à tout pour le protéger. Mais il rencontre aussi l'évanescente Lily, enfant autiste aux yeux violets, que les couloirs trop blancs des hôpitaux font paraître irréelle et qui semble pourtant résolue à lui offrir son aide.

Porté par l'amour de Lily, perdu dans un univers dont le sens lui résiste, Simon va tâcher, au travers des songes qu'il s'invente en fermant les yeux, de mettre des mots sur la maladie de son père, jusqu'à toucher du doigt une vérité que l'on croyait indicible.



Les premières pages ;
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Ce matin, j’ai trouvé papa dans le lave-vaisselle.

En entrant dans la cuisine, j’ai vu le panier en plastique sur le sol, avec le reste de la vaisselle d’hier soir.

J’ai ouvert le lave-vaisselle, papa était dedans.

Il m’a regardé comme le chien de la voisine du dessous quand il fait pipi dans les escaliers. Il était tout coincé de partout. Et je ne sais pas comment il a pu rentrer dedans : il est grand, mon papa.

J’en ai oublié mon petit déjeuner. Je ne savais pas quoi faire. Maman était repartie au pays des kangourous et, à chaque fois qu’elle voyage, elle nous demande de pas la déranger à cause du décalage horaire. Quand elle est dans le salon, avenue Paul-Doumer, elle ne veut pas qu’on la dérange non plus à cause du livre qu’elle lit, même que c’est pas un livre que papa a écrit. Ou alors elle parle à une copine sur son portable et elle fait un geste de la main comme si elle chassait une mouche ou un moustique, sauf que la mouche ou le moustique, c’est moi ou papa. On tourne autour, mais on ne sait pas trop comment l’approcher. Et puis des fois qu’il viendrait à maman l’idée de nous écraser entre ses mains… Elle n’embrasse ni papa ni moi. Elle nous éloigne avec ses gestes et le pays des kangourous.

J’ai dit : « Ça va papa ? », papa n’a pas répondu.

Il a caché un peu plus sa tête dans ses bras.

Alors je suis sorti de la cuisine. J’ai décroché le téléphone et j’ai appelé Lola.

« Papa est dans le lave-vaisselle, je fais quoi ?
— Papa est où ?
— Dans le lave-vaisselle, je crie.
— J’arrive, mon chéri. Ne bouge pas. »

Pour aller où ?



Lola, c’est ma grand-mère, la maman de papa. Elle est vieille, mais elle est super-cool. Je dors dans son lit et je peux manger autant de bonbons que je veux. Le papa de mon papa n’existe pas. Enfin, c’est ce que maman a voulu me faire croire. Comme si, à neuf ans, on était stupide. Lola qui aurait fait un petit jésus toute seule, et puis quoi encore ! Ce grand-père que je n’ai jamais rencontré n’a pas épousé Lola. Il a juste reconnu mon papa quand il est né et plus jamais personne ne l’a revu. Lola dit que ce n’est pas bien grave et qu’il est sûrement au volant de sa décapotable ou dans un casino, noyé dans son double whisky. Le verre doit être géant, sinon je ne vois pas trop comment il pourrait se noyer dedans. Quant aux parents de maman, ils sont morts si jeunes que papa ne les a jamais rencontrés. Entre Lola et maman, ce n’est pas le grand amour, elles se disputent au téléphone. Lola aimerait bien lui dire des tas de choses désagréables, mais maman n’est pas souvent à la maison.

Pour éviter que Lola lui dise des tas de choses désagréables.

Le métier de maman, c’est de voyager en Australie. Elle est directrice de marketing chez Danone. Oui, le yaourt. Alors, quand je suis triste et que maman me manque, je vide six yaourts à la pêche, lentement, à la petite cuiller, et je l’imagine chevauchant un kangourou dans le bush, jusqu’à ce que le sourire revienne sur ma bouche. Le bush, dans le dico de papa, c’est la forêt australienne grande comme huit mille fois Paris.

Heureusement, maman garde toujours son portable sur elle. C’est pratique si elle se perd.



Lola sonne à l’interphone, on dirait qu’elle s’est endormie dessus. J’ai déjà ouvert la porte de la maison et je me penche au-dessus de la rampe pour la voir monter. Clac. Lola vient de faire une photo. Elle finira dans un joli album où mamie écrit la date et l’endroit avec des crayons de couleur. Lola aime beaucoup les couleurs. « Trop », dit maman. Ses cheveux sont roux, ses robes jaunes ou vertes ou rouges ou tout à la fois. Sur l’épaule, elle porte un énorme sac à paillettes où elle a mis toute sa maison dedans. Un parapluie violet s’il se mettait soudain à pleuvoir. Un appareil photo, on ne sait jamais, au cas où Johnny Depp et Catherine Deneuve bavarderaient sur le trottoir d’en face. Une trousse à maquiller sa bouche bien rouge, ou ses joues, ou ses ongles, ou le bout de mon nez. Une autre trousse pour recoudre les boutons qui s’envolent des chemises ou des pantalons, avec des fils de toutes les couleurs, les aiguilles, les ciseaux et le dé à coudre pour éviter de se piquer le doigt. Une lampe de poche, très pratique quand on sort du cinéma, pour ne pas louper les marches. Plein de magazines pour passer le temps et en savoir plus sur les stars qui se confient à papa et signent à sa place sur les couvertures des livres. Du chocolat en tablette pour moi, pour elle, pour papa. À se demander qui en mange le plus ! Une bouteille d’eau d’un litre. Évian, à cause de la pub. Et, tout au fond, ses porte-bonheur : des cailloux ramassés quelque part en Afrique, un flacon de sable, celui d’Alcudia, où nous allons tous les étés, en Espagne. Et puis un trousseau de clefs, avec au moins six porte-clefs, un chien, un ours et trois grenouilles en peluche. En tout cas, aucun kangourou dans le sac. Lola, c’est les grenouilles. Elle adore. Elle en a au moins une centaine dans son appartement. Toutes mortes, bien sûr. Les grandes personnes adorent collectionner des tas d’objets qui ne servent à rien. Et des fois j’ai peur de toutes ces grenouilles mortes mangées par la poussière. Je m’attends à ce que l’une d’entre elles exécute un saut périlleux pour que je la regarde vraiment. Alors je les ignore en fermant les yeux. Je me bouche aussi les oreilles. Je n’ai pas envie de les entendre se plaindre de la saleté qui leur fait un oeil borgne.

Lola me pousse de sa main droite et me caresse avec ses yeux. On est dans l’urgence mais, elle, ça ne l’empêche pas d’être douce avec moi. Papa, lui, est trop occupé pour me dire « je t’aime ». Il doit se demander comment il va bien pouvoir sortir de là.

« Depuis combien de temps s’est-il enfermé dans le lave-vaisselle, ce nigaud ? demande Lola.

— Je ne sais pas, mamie, je… »

Je n’ai pas fini ma phrase que Lola entre dans la cuisine.

« Paul, franchement ! Allons, sors de là, voyons ! »

Mais papa est aussi bavard qu’un muet. C’est à peine s’il a levé les yeux et, dedans, c’est du gris sombre. D’habitude, c’est vert, un vert « couleur de feuille », murmure maman les jours avec. Mais elle n’a rien dit de pareil depuis longtemps.

Lola s’agenouille, lui parle si doucement que j’entends rien. Papa se déplie, sort une jambe, puis l’autre. J’ai détourné la tête, parce que je le vois pleurer, vilaine pluie. C’est la première fois que je vois mon papa pleurer. Il n’est pas tombé de vélo pourtant ! Moi, je pleure avant la chute. J’ai trop peur de me faire mal. Sur l’épaule de Lola, les larmes de papa s’en vont dans le grand sac. Bientôt tout sera noyé et le flacon de sable retournera à la mer.

Papa relève la tête, se cache la figure avec ses mains et pleure à grand bruit sans s’arrêter. J’ai peur. Même dans les films catastrophes que j’adore, quand le héros perd la femme qu’il aime et tous ses copains, jamais il ne pleure autant. J’espère que ce n’est pas à cause de moi. J’ai bien rangé ma chambre, mon bulletin n’est pas trop mauvais, je ne fais plus pipi au lit et je n’ai pas non plus fumé la cigarette que me tendait Jérémy, hilare. Ça ne sentait pas bon et je n’en ai pas parlé à papa. Peut-être l’a-t-il appris…

« Va dans ta chambre, mon petit Simon, me dit mamie, je dois parler avec Paul. Je viens te chercher quand c’est fini. »

C’est toujours comme ça avec les grandes personnes. Quand j’aimerais être là pour tout comprendre, je dois m’en aller ailleurs comme si j’étais de trop.


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Message Publié : 25/04/2012 07:06 
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1

Tous les journaux en parlent. On voit mon papa en culotte de golf et maman à quatre pattes qui ramasse ses balles. Alice a découpé tous les articles et les a collés dans un album. Sur la couverture, elle a écrit au gros feutre noir :

Papa et maman sont morts.


2

Quand maman ne ramasse pas les balles de golf, elle joue dans des films muets. M. Frouta, son agent, dit qu'elle est drôlement bien roulée et que toutes ces jolies robes qui gardent pour elles les formes de maman, c'est vraiment du gâchis.

Alice compte les jours qui la séparent de ses dix-huit ans : elle aimerait bien voir maman à l'écran. Des images de ses films muets, j'en ai vu, mais pas dans les journaux. Dans un carton à chapeaux que j'ai donné à Alice pour son album. Maman est souvent à quatre pattes, mais elle ne ramasse pas de balles. Elle a dû perdre une boucle d'oreille. Elle est toute nue et un monsieur qui n'est pas papa attend sur le lit qu'elle retrouve sa boucle d'oreille. Sur une autre image, elle est assise sur un lavabo et elle mange du raisin. Sur une autre encore, elle tient un grand fouet dans la main gauche. L'image n'est pas assez grande, on ne voit pas le tigre.

Celle que je préfère, c'est quand maman se retrouve au lit avec un monsieur qui a les yeux fermés. Elle est assise sur lui et elle regarde le plafond. Maman aime bien la propreté, elle doit se dire que le plafond a bien besoin d'un coup de peinture.

Je comprends pourquoi les films de maman sont muets. Les messieurs qui ne sont pas papa donnent tout le temps. Maman n'est pas folle, elle ne parle pas toute seule. Quand elle ouvre la bouche, c'est uniquement pour manger du raisin.



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Depuis tout petit, je veux tuer le ciel à cause de maman qui me dit souvent :

— Le ciel, ma Courgette, c'est grand pour nous rappeler qu'on n'est pas grand-chose dessous.

— La vie, ça ressemble en pire à tout ce gris du ciel avec ces saloperies de nuages qui pissent que du malheur.

— Tous les hommes ont la tête dans les nuages. Qu'ils y restent donc, comme ton abruti de père qui est parti faire le tour du monde avec une poule.


Des fois, maman dit n'importe quoi.

J'étais trop petit quand mon papa est parti, mais je vois pas pourquoi il aurait emmené une poule au voisin pour faire le tour du monde avec. C'est bête une poule : ça boit la bière que je mélange aux graines et après ça titube jus-qu'au mur avant de s'écrouler par terre.

Et c'est pas sa faute si maman raconte des bêtises pareilles. C'est à cause de toutes ces bières qu'elle boit en regardant la télé. Et elle râle après le ciel et elle me tape dessus alors que j'ai même pas fait de bêtises.

Et je finis par me dire que le ciel et les coups ça va ensemble. Si je tue le ciel, ça va calmer maman et je pourrai regar-der tranquille la télé sans me prendre la raclée du siècle.




Aujourd'hui, c'est mercredi.

La maîtresse dit que « c'est le dimanche des enfants ».

Moi, je préfère aller à l'école. Maman regarde la télé et j'ai envie de jouer aux billes avec Grégory, mais Grégory habite loin et il peut plus dormir à la maison depuis que nos mamans se sont disputées à cause du ballon et de la fenêtre cassée. Maman a dit dans le téléphone que Grégory était « un vaurien » avant de raccrocher sur un « sale pute » à cause de la dame qui gueulait « c'est toujours mieux qu'une alcoolique ».


Je dis à maman « viens jouer avec moi aux billes » et maman dit à la télé « attention, il est derrière toi, il va te tuer » alors j'insiste et maman parle à la télé « il est vrai-ment con celui-là » et je sais pas si le con c'est moi ou le monsieur qui vient de se faire buter alors que maman l'a prévenu.

Je monte dans ma chambre et je regarde par la fenêtre le fils au voisin qui n'a jamais besoin de personne pour s'amuser. Il grimpe sur un cochon comme si c'était un âne et il rigole tout seul. Moi, je suis triste, alors je vais dans la chambre à ma mère avec le lit pas fait et les habits par terre et je fais son lit et j'ai besoin d'une chaise pour poser ses affaires sur la montagne du panier à linge sale et après je sais plus quoi faire alors je fouille et dans un tiroir de la commode, sous la pile de chemises pas repassées, je trouve un revolver.

Je suis super content, je me dis « je vais aller jouer avec dans le jardin ». Je sors, l'air de rien, avec le revolver caché dans mon pantalon. De toute façon, maman me regarde pas, elle dit à la télé « cette fille-là, elle est pas pour toi mon gars ! ».

Une fois dehors, j'ai pas à viser. C'est grand le ciel.

Je tire une fois et je tombe par terre.

Je me relève et je tire une deuxième fois et je retombe.

Maman sort de la maison. Elle boite à cause de sa mau-vaise jambe et elle hurle « c'est quoi ce bordel ?» et elle me voit avec le revolver à la main et elle me crie dessus « mais qu'est-ce que j'ai fait au bon Dieu pour avoir une Courgette pareille ! T'es bien le fils à ton père ! Et donne-moi ça petit con ».

Et elle essaye de me retirer le revolver des mains.

Je dis « mais tout ça c'est pour toi, je veux plus que tu me cries dessus » et je lâche pas le revolver et maman tombe en arrière.

Elle gueule « saloperie » en se tenant la mauvaise jambe et je dis « t'as mal ? » et elle me donne un coup de pied avec l'autre jambe, celle qui gambade, et elle me crie « donne-moi ça immédiatement, je te le dirai pas deux fois » et je dis « ça fait deux fois que tu le dis » et je donne pas le revolver et elle me mord la main et je tiens bon et je m'accroche à ce que je peux et le coup part et maman bascule en arrière.


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Message Publié : 25/04/2012 16:22 
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Au pays des kangourous me tente bien ! Je note. : sifflote :

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"Tant que tu ne peux pardonner à autrui d'être différent de toi, tu es encore bien loin du chemin de la sagesse."
(Proverbe chinois)

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Message Publié : 07/11/2014 17:40 
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Localisation : Yvelines - Région Parisienne
J'ai entamé au pays des kangourous et j'aime vraiment beaucoup...

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Message Publié : 07/12/2014 09:57 
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Localisation : Yvelines - Région Parisienne
Un très bon moment de lecture avec ce roman de Gilles Paris.
Des sujets graves sont traités dans le livre et sont vus et ressentis par un petit garçon de 9 ans.
Il nous raconte la dépression de son papa avec ses mots à lui, ses incompréhensions, ses questions, ses déductions.
Malgré le sujet abordé, il arrive à nous faire sourire avec sa façon de raconter et en même temps c'est très émouvant.
Un Papa dépressif, une maman qu'il voit peu, une grand-mère excentrique, l'amie Lily, Simon avance dans la vie comme il peut, on a juste envie de le prendre dans nos bras et lui expliquer que tout va bien se passer.
Un joli livre rempli d'émotions que je conseille à tous...

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