Mazette quel roman! Par où commencer dans ce récit polyphonique dont l'histoire traverse le siècle passé pour s'écraser littéralement au début des années 2000. Superbement écrit (j'y reviendrai), on sent que Del Arbol avec ce troisième roman maitrise son sujet...pourtant ardu! On démarre par le meurtre d'un enfant, avant que la mère de celui-ci, inspectrice, ne décide de se donner la mort, après avoir, semble t'-il, assassiné le coupable. Puis on découvre le frère de celle-ci, Gonzalo, avocat, marié à une femme qu'il n'aime plus, mais avec laquelle il continu de vivre pour ses deux enfants. Cette affaire de suicide est la goutte d'eau qui fait déborder le vase, d'autant qu'au même moment, son beau père, avocat véreux, décide de lui prendre son cabinet. Del Arbol va ensuite nous emmener plus de 70 ans en arrière, à la rencontre de quatre personnes aux idéaux bien affirmés, décidé à aider la Russie dans ses travaux démesurés, destiné à démontrer la toute-puissance du communisme...sans se rendre compte que la peur de se faire dénoncer gangrène cette société corrompue. Elias, l'espagnol, va avec ses trois autres amis français, anglais et écossais, être déporté à Nazino en 1933 et rencontrer le mal incarné en la personne d'Igor, un prisonnier qui va vite devenir le maître du camp avec la complicité des gardes. Vous croyez avoir déjà tout vu? Loin de là! Il est impossible d'oublier certains passages relatant la rencontre entre Irina et Elias, leur amour pur puis leur fuite désespérée, avec la petite Anna, fille d'Irina à travers les steppes, le tout tellement bien décrit que l'on s'y croirait. Mais ce qui est le plus impressionnant dans ce roman dantesque, c'est la façon dont l'auteur analyse et démontre comment la misère et la peur peut détruire un être humain. Impossible d'oublier l'assujettissement de Martin, l'anglais et de Michael l'écossais à Igor pour simplement survivre, la détresse de Claude, le français et la déchéance d'Elias, le colosse espagnol, décidé, jusqu'à l'absurde à ne jamais céder son manteau à Igor...ceci allant jouer presque inexorablement sur le futur des protagonistes...je m'arrête là, sachant que à ce moment là, on n'en est qu'au tiers du roman! Je voudrais surtout revenir sur un passage du livre, que j'appellerais le "monologue d'Irina" (page 187 à 190), qui commence par un fulgurant: "Je ne suis pas une putain" pour se finir par cette même phrase et qui est tout bonnement un des écrits les plus beaux et les plus tristes que j'aie lu de ma vie. Tout y est, absolument tout et rien que pour cela, il faut lire ce roman. Quant à la façon dont tourne Elias, le minimum que l'on puisse dire est que ça fait froid dans le dos (et sans aucun manichéisme)! Et la façon d'écrire de cet auteur! En voici quelques exemples:" les vieux, c'est comme ça, des points noirs sur l'horizon des jeunes et leurs vaines illusions", "on fait ce qu'on ne veut pas faire quand on tombe amoureux et qu'on attribue à sa propre initiative ce qui n'est au fond qu'un renoncement", "la jeunesse n'humilie que la vieillesse de ceux qui n'ont pas vécu assez de vies"...bravo au traducteur Claude Bleton! Je pourrais encore en écrire des lignes tant les destins brisés de tous les personnages émaillant ce roman sont bouleversants, mais le mieux est de le lire!
5.5/5
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