Troisième roman de Deon Meyer traduit en français, L'Âme du Chasseur confirme, s'il en était encore besoin, qu'on a bien affaire là à un auteur qui pourrait finir par devenir incontournable. Dès le prologue et le premier chapitre (six pages en tout), on est happé par sa puissance évocatrice et on sait déjà qu'on ne lâchera plus ce roman avant d'en avoir avalé le point final, avec cette espèce de mélancolie frustrante que génère l'attente impatiente d'un prochain épisode...
On retrouve donc Thobela Mpayipheli, P'tit, déjà rencontré, effleuré, en tant que complice de Zatopek Van Heerden dans Les Soldats de l'Aube. Il a refait sa vie, remballé son artillerie, et aspire à la tranquillité au coté de sa compagne, Miriam Nzululwazi, et de son fils Pakamile qui s'est pris d'amitié pour cette figure paternelle au grand cœur. Mais la dure réalité refait surface et vient frapper à la porte de cette famille recomposée avec l'arrivée de la fille de Johnny Kleinjes, ancien compagnon du temps de la "lutte", qui vient demander l'aide de Thobela afin de sauver son père, retenu à Lusaka : il lui faudra pour ce faire convoyer jusque là-bas un disque dur renfermant de sombres souvenirs très convoités. S'en suit alors une chasse à l'homme à travers le pays où P'tit Mpayipheli devra se battre autant contre ses anciens démons que contre tous les nouveaux pouvoirs de la démocratie naissante de l'Afrique du Sud.
Deon Meyer aborde de front l'après apartheid et la construction de ce nouveau pays à travers ses services secrets, son armée, ses hommes et femmes de pouvoir, et l'immense difficulté à faire travailler tout ce petit monde dans la même direction : anciens du parti boehr, anciens de l'ANC, devant mettre en commun leurs savoirs, leurs expériences, leurs secrets... et leurs rancœurs... Et lorsqu'il se demande si Thobela arrivera à changer sa vie, n'est-ce pas un peu à son pays que l'auteur pose la question ? Comme à travers ces mots qu'il glisse dans la bouche de Zet, face à Miriam (p.173) :
"Je ne crois pas qu'un homme puisse changer fondamentalement, le mieux qu'on puisse faire, c'est de reconnaître la part de bien et de mal qui est en nous. Et de l'accepter. Parce qu'elle existe. Au moins en puissance. On vit dans un monde où le bien est glorifié et le mal méconnu. On peut changer de point de vue. Pas de nature."
Ou encore quelques lignes plus loin : "L'avocate, Beneke, était là elle aussi, elle avait discuté avec Miriam, en anglais, mais le courant ne passait pas, avocate et serveuse, leur couleur, leur culture, et 300 ans d'histoire africaine avaient creusé un gouffre béant que leurs silences gênés ne parvenaient pas à combler"
Reste l'intrigue, le support, cette chasse à l'homme à travers le pays, où on épouse successivement, de manière enchevêtrée, pratiquement comme dans un puzzle, les points de vue des différents protagonistes, Thobela lui-même, le guerrier solitaire, mais aussi Janina Mentz, responsables des services secrets, Allison Healy la journaliste, Tiger Mazibuko le mercenaire, et d'autres encore. La lecture n'en reste pas moins fluide, voire captivante, angoissante même lorsque le rythme s'accélère.
Deon Meyer aime son pays, aime son avenir aux couleurs de l'arc-en-ciel, même si sa construction prend parfois des chemins chaotiques. À ne pas manquer...
Christine est venue voir un pasteur dans une petite ville sud-africaine. Elle vient lui raconter son histoire, son malheur, et se présente à lui avec un carton qui, lorsqu’il en découvre le contenu, arrache à l’homme d’église ces simples mots : "Doux Jésus"…
Thobela Mpayipheli revient d’un week end passé avec son fils adoptif. Ensemble, ils ont parcouru la campagne à moto. Sur le chemin du retour, arrêtés à une station service, ils sont surpris par des braqueurs au moment où ces derniers tentent de s’enfuir. Une fusillade éclate et le jeune garçon est atteint mortellement par une balle perdue.
Les braqueurs sont arrêtés mais au moment du procès, l’avocat de la défense retourne la situation en faisant ressortir durant les débats le passé trouble de Thobela et en l’accusant d’avoir lui-même provoqué la fusillade, le rendant ainsi responsable de la mort de son fils. De plus, avant que le jugement ne soit rendu, les deux malfrats réussissent à s’évader. La colère et la vengeance grondent chez Thobela, elle vont bientôt exploser…
Deon Meyer remet ici en scène le personnage de Thobela Mpayipheli, déjà croisé dans plusieurs de ses précédents romans. Sans que Le Pic du Diable soit une suite de L’Âme du Chasseur, il est intéressant tout de même de respecter la chronologie pour apprécier la psychologie de ce personnage et les drames qui se jouent autour de lui.
Drame, psychologie : les maîtres mots des romans de Deon Meyer, et ce nouvel opus en est la magistrale démonstration.
Deon Meyer pose une lumière crue sur ses personnages, leurs sentiments. Ici, pas de faux-semblants. Ils sont exposés, fouillés, révélés, dans leur complexité, à travers leurs ambiguïtés, jusqu’à ce que leurs vérités propres éclatent au grand jour.
Ils sont trois. Thobela, le guerrier Xhosa au grand cœur qui, après le meurtre de son fils va se transformer en justicier vengeur, mais aussi aveugle. Donner la mort, dans ces circonstances, deviendrait presque un plaisir, proche de celui du tueur… Christine ensuite, jeune femme élevée par un père militaire à l’intransigeance renforcée par un puritanisme très développé chez les afrikaners protestants, et qui est devenue, en "réponse", une call-girl malheureuse capable de s'auto-mutiler. Griessel enfin, flic alcoolique qui vient de se faire virer par sa femme ; à prendre non pas comme une figure rhétorique de la littérature policière, mais comme un témoin des ravages causés par l'alcool, sur l'homme comme sur son entourage.
Trois personnages qui vont évoluer, que Deon Meyer va pousser dans leurs retranchements pour les faire se révéler sous nos yeux à travers une narration croisée extrêmement sophistiquée, une merveille de construction qui prend la chronologie en tenaille pour la faire exploser. Deon Meyer fait preuve là d'une maîtrise exceptionnelle de son récit, entretenant sans cesse l'intérêt de son lecteur sans jamais le perdre dans le labyrinthe dans lequel il l'a introduit.
Drame. Car ces personnages ne sont mis en scène que pour le révéler. Un drame réel : le sort des enfants en Afrique du Sud :
« Au moins quarante pour cent des cas de viols d'enfants sont imputables au mythe selon lequel cela permettrait de guérir du sida. »
Sans insister, sans jamais tomber dans un pathos de circonstance, Deon Meyer fait aussi de ce drame — ces drames, le sida est aussi celui de l'Afrique — le cœur de son récit. Aidé par ses trois personnages, il va construire une intrigue qui les verra se croiser, se rencontrer, pour mettre en lumière une horrible vérité.