Claudine et Cléo de Nicole Provence
Dans les foins chauds et odorants de l’été, Cléo se glisse, furtive, ondulante,allongeant avec précaution ses pattes de velours striées, et les pose avec la légèreté d’un vol de libellule.
L’air est immobile, comme en attente d’un événement qui déchirera pour un instant, le silence.
La chatte s’est arrêtée instantanément, le regard fixe, ses yeux verts bordés de khôl comme ceux d’une odalisque. Les moustaches tremblent et les oreilles pivotent.
Elle est là, elle guette, devançant le grattement timide de la souris désireuse de s’étourdir du soleil qui brûle l'air.
Bientôt, quelques granules de terre glissent dans le trou. Un petit museau renifle l’air, hésite, recule et sort à nouveau, mis en confiance par le silence qui l’entoure. Il ignore encore le regard d’hypnotiseur qui la guette.
Cléo bande ses muscles, s’astreint une immobilité parfaite.
La souris s’est avancée, confiante hors de son trou, et c’est au moment où elle pressent le danger qu’une patte la plaque violemment au sol. Des griffes d’acier dans une gaine de fourrure la retiennent prisonnière et l’empêchent de fuir. La mignonne a instinctivement compris, viscéralement elle sait…Inutile de se débattre, les barreaux de cette cage de poils sont solides. Si elle persiste à tenter de s’évader, ils se refermeront cruellement sur elle. Alors, elle fait la morte pour tromper son ennemie, sachant qu’un seul mouvement exciterait l’instinct de la chasseresse. Elle devient molle. L’inertie feinte intrigue et déconcerte la chatte. Qu’est ce donc cette chose qui ne bouge plus ?
Ce petit paquet aux poils ras et gris ne semble plus vivant.
Incrédule, la chatte observe. La patte de velours fait une pichenette du petit corps au ras de l’herbe, espérant la ranimer.
La chatte est déçue, elle la pousse encore du bout de ses griffes pour la stimuler puis la prend dans sa gueule, sans la croquer encore, elle a le temps ! Sa prise entre les dents, la chatte ondule et se dirige fièrement vers les petites roches blanches qui dessinent une rocaille.
Cléo la laisse choir à terre et s’en désintéresse…
Dame souris sent son coeur qui se calme, elle reprend ses esprits…
Dame chatte semble davantage préoccupée par la tige du saule pleureur dansant dans l’air tiède que par l’humble souriceau qui espère toujours.
La voilà qui tente de fuir, la pauvrette, en aveugle, humant désespérément l’air qui la guidera jusqu’à son trou…
Alors, Cléo a bondi, heureuse que son jouet s’anime à nouveau. Elle s’ennuyait déjà ! Elle la saisit de ses griffes encore innocentes et la projette dans l’air comme une balle, encore et encore Souricette tourbillonne, vole et rebondit. Elle a le vertige, Cléo s’amuse au chat et à la souris, un jeu qu’on ne lui a pas appris petite mais qui est inscrit dans la mémoire ancestrale de tous les chats. Parce qu’elle a un peu trop serré cette petite chose tiède et palpitante, presque par inadvertance, une goutte de sang a perlé sur sa langue, réveillant son instinct de carnassier. Pour avoir le jus de ce fruit étrange, elle sait qu’il faut le presser davantage, et sans hésiter, elle referme ses dents aiguës sur le petit campagnol.
Cléo se régale. Dieu que la souris était bonne et goûteuse ! Elle dédaigne une patte arrière et la queue qui ressemble à un ver d terre desséché. Une aubaine pour les fourmis qui la détectent et se précipitent en colonne organisée.
La chatte s’essuie proprement la gueule. Elle passe et repasse sa patte humide sur son museau, lisse ses moustaches puis s’arrête une seconde. Elle baille sans façon en étirant ses yeux. Le soleil la caresse. Elle continue à se lécher consciencieusement, puis s’étire voluptueusement, les pattes loin en avant, son petit derrière en l’air et la queue tendue. On se croirait à la prière de la Mecque. Cléo s’incline et se prosterne jusqu’à terre pour la remercier de la provende qui vient de garnir son estomac. C’était peu en fait, une si petite souris ! Elle sent son appétit aiguisé et cherche autour d’elle ce qui ferait un entremet ou un dessert convenable.
L’herbe est verte et tendre, elle s’y vautre comme une fainéante et jouit avec ivresse de sa liberté, allonge son corps et le tend comme un arc, bascule et roule sur elle-même, griffant l’air et le ciel. Elle baille encore et ses moustaches se rejoignent en un arc en cercle délicat audessus de son museau pointu, découvrant ses dents acérées et sa langue rose.
Nicole Provence (Extraits)
Pour lire le texte et découvrir le site de Nicole Provence
http://www.nicoleprovence.com/index.php